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PHILIPPE RICAUD

Sur le tard, Philippe RICAUD découvre le théâtre au détour de cours et de rencontres : Dubillard, Ödön von Horváth, Rouabhi, Saunders, Bernhard. Par le biais de sections théâtre en entreprises, puis au sein de structures gérées par des professionnels sur la région bordelaise. Quelques fêlures et cicatrices plus tard, il se met à écrire. En 2010, il crée, avec Christine et Marlène, la Compagnie Les Semelles de Plumes sur la région toulousaine. Cela lui permet ainsi de monter et de jouer ses propres pièces. A ce jour, sur neuf pièces, sept ont été montées et deux éditées. Il a reçu un prix de poésie au Festival de Valras-Plage (34) en 2012. Un roman Lieu oublié a été publié en 2018 et mis en lecture avec un support vidéo. Il réalise en 2020 un court-métrage expérimental Un songe m’effleure. A la suite de la pièce TransiT créée en 2023, il rédige le roman Le TransiTeur.

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Contacts :

Les Semelles de Plumes

  semelles2plumes@gmail.com

 

Philippe Ricaud

  pricaud@hotmail.fr

ROMANS (extraits)

Lieu oublié (2018)

Avec leurs petites pattes, mes idées sautillent sur mon crâne dégarni – certains disent méchamment chauve – pour finalement glisser en faisant quelques pirouettes sur le plongeoir. Là, elles attendent en se bousculant. Certaines tombent sur la table et n’arrivent pas à atteindre les pages impaires de mon cahier, elles sont définitivement perdues. D’autres s’envolent et disparaissent à jamais en dessinant de magnifiques figures acrobatiques. Des malpolies tentent de passer devant les autres. Des timides restent derrière mais tôt ou tard sautent tout de même. Il y a de la place pour tout le monde : les noires, les sans-queue-ni-tête, les brouillonnes, les claires, les géniales, les phares. Les unes après les autres, pas nécessairement avec le même rythme, elles atterrissent sur les pages impaires de mon cahier que mon stylo bleu matérialise. Certaines ne sont pas mûres et mon stylo bleu, rageusement, les raye. D’autres doivent sans doute avoir de l’importance car mon stylo se permet de tirer trois lignes bleues par-dessous. À la relecture, une ou deux se voient apposer un caractère ressemblant fortement à un point d’interrogation. On ne peut pas dire que c’est mauvais signe, ni d’ailleurs que c’est bon signe, juste qu’on peut douter de leur pertinence, ou de leur compréhension, ou de leur valeur, ou de leur position à l’endroit même où le stylo bleu a bien voulu les coucher. Je prends alors conscience du rôle inquisiteur de mon stylo bleu ayant droit de vie ou de mort sur toutes les idées sautant de mon plongeoir. Il va falloir que j’aie une petite explication avec lui d’ici peu, me dis-je intérieurement.

Philippe Ricaud, Lieu oublié, Les trois lignes bleues, 125 p., 12 €

Lieu oublié
ROMANS (extraits) :

Des rails. Fragments. (2007)

Coupable ou non coupable ? Quelle question ? Il faut répondre et vite. Griffonner oui. Griffonner non. Griffonner je ne sais pas. Griffonner point d'interrogation. Je ne peux pas me décider. Il a besoin d'aide, d'une aide de tous les instants, aide qu'il n'aura pas en prison. Alors hôpital. Mais au moment des faits, à l'ultime seconde où le couteau a pénétré dans A, puis dans B, et puis mécaniquement dans C, D, E, F, et pour l'achever dans G, il était conscient, il se libérait de trente années de servage sous l'emprise de son frère, il a achevé l'œuvre que ses voix lui susurraient le soir dans ses oreilles. Donc il était conscient. Alors prison. Mais il n'a pas sa place en prison. Alors hôpital. Oui mais il ne prendra jamais conscience de son acte. Alors prison. Hôpital ou prison. Prison ou hôpital. Je vérifie un à un les papiers blancs recouverts d'un oui, d'un non, d'un je ne sais pas, d'un point d'interrogation, recouverts d'une poudre de rien, de néant, de vide, d'incompréhension, d'impossibilité profonde de pouvoir juger. Les tas de oui montent au ciel. Coupable.

Des rails. Fragments.

L’hidosité était une sensation, une saveur, une vapeur assez prégnante durant son premier tremblement de tête puisqu’elle l’accompagnait inexorablement tous les trimestres pendant quatre ans au fond d’une chambre stérile à l’écart du monde des vivants, reliée au monde des vivants par la visite rapide et exceptionnelle de ses parents, la visite quotidienne d’une dame de service au balai et au visage souriants, la visite régulière d’infirmières cachant mal leur dégoût de le voir cloîtrer cinq voire sept jours dans une chambre aussi laide, la visite exceptionnelle de médecins entourés de futurs médecins entourés d’infirmières entourées d’aides-infirmières, la visite systématique en fin de séjour du pharmacien au visage laiteux encore plus proche de la mort que lui avec son compteur Geiger autour du cou qui avait le droit ultime en fonction de l’orientation de l’aiguille de le laisser sortir le samedi matin, peut-être le dimanche matin, sinon de le laisser croupir tout le week-end jusqu’au lundi matin dans l’hidosité la plus complète. L’hidosité commençait dès le début du séjour en avalant le liquide radio-actif contenu dans un petit flacon somme toute modeste et dont le seul but était de cacher l’hidosité qu’il contenait.

Tremblement de tête

THÉÂTRE (extraits)

THÉÂTRE (extraits) :

Tremblement de tête (2006)

La revanche des Hypercubes ou L'inénarrable conte de la technicienne de surface qui sauva l'humanité (2018)

La revanche des Hypercubes

     Olivia : Bon écoute Marilyn. On va jouer cartes sur table. Si la boîte t’a embauchée c’est pas pour tes beaux yeux, c’est pas pour ton CV, c’est pas pour l’import/export, c’est même pas pour ton cul. Pendant six mois, ils vont gagner de l’argent sur ton dos. T’es vieille, personne veut de toi, il y a que l’Etat qui oublie pas des paumés comme toi. Je peux te jurer que dans six mois, la boîte te jettera comme une vieille merde. Donc pendant six mois, je veux que tout se passe bien dans mon équipe, c’est compris ?

     Solange : Oui oui pas de problème.

     Olivia : J’ai une semaine pour te former. Normalement en trois jours c’est réglé mais avec toi il me faudra bien une semaine et je peux te jurer que dans une semaine tu connaîtras parfaitement ton job.

     Solange : Oui oui tu peux me faire confiance.

     Olivia : Tu sais t’es pas la première « senior » comme ils disent à venir gratter les chiottes des bureaux de La Défense. Elles tiennent deux semaines, maximum trois, pas plus. Elles finissent jamais le mois. Comme ça, t’es prévenue.

     Solange : Je vais m’accrocher Olivia, je te jure je vais m’accrocher.

     Olivia : Mais c’est un autre monde ici Marilyn. Toi t’as déjà connu la lumière, les petits fours et le Champagne. Nous, quand on fête un anniversaire, on va à Monop’ et on prend des boissons à base de jus de fruit concentré et des poches de viennoiseries invendues. Sur les murs ici dans les bureaux, t’as des cartes postales du bout du monde. Nous, pour les vacances, on va au centre aquatique, derrière le périf, ils font des massages pas chers et on a accès au hammam gratos. Alors tu veux t’accrocher à quoi Marilyn ? C’est cette vie-là qui te fait envie ?

     Solange : Je veux déjà payer mon loyer à la fin du mois. Pour ma vie, je verrai plus tard.

Philippe Ricaud, La revanche des Hypercubes ou L'inénarrable conte de la technicienne de surface qui sauva l'humanité, Les trois lignes bleues, 77 p., 9 €

Revoir les Oiseaux d'Amérique (2015)

     Georgio : Je vais te passer un bouquin.

     Georgette : Mais je ne lis pas.

     Georgio : Tu as toute l'éternité pour t'y mettre. (Il ouvre la valise et lui donne un livre.)

     Georgette (lit) : "La pratique du Zen au quotidien". Mais que veux-tu que j'en fasse ?

     Georgio : Aucune idée. A toi de voir. Mais ça ne te fera pas de mal. C'est comme l'homéopathie. Ça t'aidera peut-être à trouver ton équilibre et à lâcher prise.

     Georgette : Mais je ne veux pas me réincarner moi !

     Georgio : Je ne te demande pas de te réincarner, je te demande de le lire, tu verras bien où ça te mènera. De toute manière, il faudra bien que tu fasses quelque chose de ta mort. Tu en as encore pour longtemps.

     Georgette : Oui tu as raison. Merci mon Gigi.

     Georgio : Je suis content que tu sois venue me voir.

     Georgette : Je t'embrasse mon chat. (Ils s'embrassent bruyamment.) On se reverra ?

     Georgio : Sans aucun doute. Mais où et quand ? Je ne pourrai pas te dire.

Philippe Ricaud, Revoir les Oiseaux d'Amérique, Les trois lignes bleues, 82 p., 9 €

Revoir les Oiseaux d'Amérique

Week-end à Chicoutimi (2012)

     Elle : Pourquoi tu n’as pas voulu qu’ils viennent avec nous ?

     Lui : Comment ça ?

     Elle : Pourquoi tu n’as pas voulu que Lucas et Lou rendent visite à Marine et Luc ?

     Lui : Mais enfin tu voulais qu’on passe une semaine ensemble, juste tous les deux. Et puis ils sont très bien chez leurs grands-parents. C'est même toi qui me l'a dit.

     Elle : Non. Tu ne supportes pas les enfants en vacances. Il n’y a que ton travail que tu supportes. Tu pars tôt. Tu rentres tard. Tu t’enfuis à l’étranger. Et moi, je m’occupe de tout à la maison. Seule.

     Lui : N’exagère pas !

     Elle : Tu sais dans quelle classe est Lucas ?

     Lui : Mais bien sûr que je le sais !

     Elle : Alors quelle classe ?

     Lui : Eh bien… CM1.

     Elle : Ah bravo, eh bien non. CM2. Et Lou ?

     Lui : Bon on n’est pas ici pour discuter du programme scolaire des enfants.

     Elle : Tu crois que je suis venue ici pour t’entendre délirer sur ta théorie du Tout, ta transformation de la matière, tes cailloux ringards de Chicoutimi, tes vacances odieuses à Chicoutimi, tes forêts d’érables épouvantables de Chicoutimi, tes ours féroces de Chicoutimi, tes…

     Lui : Eh bien j’irai tout seul à Stockholm chercher mon Prix Nobel.

     Elle : Mais non tu partiras avec ta secrétaire.

     Lui : Bon, on ramasse tout le matériel et on rentre au chaud dans la voiture.

     Elle : Non, je préfère être dévorée par les ours.

     Lui : Ours ou pas ours, tu vas surtout être dévorée par les moustiques.

     Elle : Au moins mon corps aura trouvé son utilité.

Week-end à Chicoutimi

L'été dépose son odeur sur mes épaules (2011)

     Giulietta : Et qu’est-ce que t’as bien pu écrire sur un ticket de bus ?

     Tatiana : Un haïku.

     Giulietta : Un quoi ?

     Tatiana : Un haïku.

     Giulietta : Ah rigol’pas d’moi Tatiana ?

     Tatiana : Non Madame Giulietta. Je ne me moque pas de vous. J’ai écrit un haïku, c’est une sorte de poème en trois vers. La forme vient du Japon.

     Giulietta : Ah !!! Sont vraiment partout ces Japonais. Mais c’est-y quoi tes vers ?

     Tatiana : Des sortes de phrases qu’on utilise en poésie, quand on écrit des poèmes, on peut aussi faire des rimes, des sortes de phrases qui finissent par le même son.

     Giulietta : Comme dans les chansons ?

     Tatiana : Oui c’est ça, ça rime comme dans les chansons.

     Giulietta : T’écris comme qui dirait… des chansons japonaises !

     Tatiana (embarrassée) : Euh… Finalement, d’un certain côté, vous avez raison Madame Giulietta, j’écris des sortes de chansons japonaises. Mais courtes, extrêmement courtes.

     Giulietta : Alors vas-y, lis ! J’t’écoute. (Pause.) Allez, allez, t’fais pas mousser.

     Tatiana (lit) : « Un lézard grille sur la terrasse

                            Des mouches ronflent au plafond

                            L’été dépose son odeur sur mes épaules »

L'été dépose son odeur...

Affiche (2011)

     Patiente : Comment s’appelle cette statue ?

     Docteur : « La femme qui marche ».

     Patiente : La femme qui marche.

     Docteur : Ah mais ne vous méprenez pas. Il n’y a pas plus de Giacometti dans cette statue que d’arthrose dans votre genou. C’est ma femme, ma femme en personne qui a tout confectionné, conceptualisé, dirigé avec un sens du détail que vous n’imaginez pas. Elle adore l’art contemporain, elle vénère l’art contemporain, et elle fait tout, tout de A à Z. Tenez sur le mur là. Les cinquante-trois cuillères en acier inoxydable encastrées dans cette planche en bois trouvée lors de nos vacances sur la plage du Touquet, ce n’est pas Arman, c’est ma femme ! Là-haut. Ces deux néons bleu et vert en forme de « V » faisant un angle exact de 27 degrés et 30 minutes et qui proviennent de l’ancienne charcuterie à deux pas de notre maison de campagne en Ariège, ce n’est pas Bernar Venet, c’est ma femme, ma femme.

     Patiente : Et cette statue aussi ?

     Docteur : Une accumulation d’affiches de spectacles de théâtre amateur qu’elle a gagnées lors d’un concours international aux Iles Galapagos montée d’une ampoule en son faîte montrant la convergence des idées artistiques pour aboutir au sublime. 

     Patiente : Sublime ! Et ça lui est venu comment ?

     Docteur : l’Art, Madame Pézenat, l’Art !

Affiche

Naître (2010)

     Elle 1 : Donne-moi tes mains, je vais te les réchauffer.

     Elle 2 : Tu ne peux pas.

     Elle 1 : Pourquoi je ne peux pas ?

     Elle 2 : Tu es dans ta bulle. Moi dans la mienne.

     Elle 1 : Mais on sent la main de maman !

     Elle 2 : Oui mais on ne peut pas la toucher.

     Elle 1 : Alors je vais sentir tes mains. Ça chauffe ?

     Elle 2 : Pas beaucoup.

     Elle 1 : Tes pieds. Passe-moi tes pieds ! Ça chauffe ?

     Elle 2 : Pas beaucoup.

     Elle 1 : Ta tête. Allonge ta tête près de moi. Tu sens quelque chose ?

     Elle 2 : C'est froid. Désespérément froid. Mais je sens ton cœur. Poc poc poc. C'est ton cœur dis ? Poc poc poc. Tu entends le mien ?

     Elle 1 : Poc poc poc ? Je ne sais pas. Poc poc poc. Attends je me concentre. Tu dis poc poc poc ?

     Elle 2 : Oui poc poc poc. Le tien fait poc poc poc. C'est très doux, très rapide, très chaud. Poc poc poc. Dis, tu l'entends le mien ?

     Elle 1 : Approche-toi. Approche-toi encore plus près. J'entends poc, oui j'entends poc. Mais c'est loin, très loin, mais ils sont où les autres pocs ?

     Elle 2 : Qu'un seul poc ? Tu n'entends qu'un seul poc ?

     Elle 1 : Non j'entends des poc poc.

     Elle 2 : Ça, c'est maman. C'est le cœur de maman. Plus lent, plus fort, plus sourd. Ça, c'est maman. (Irritée.) Bah, ce n'est pas grave, continue de manger ta soupe. Elle va refroidir sinon.

     Elle 1 : Et toi ?

     Elle 2 : Moi ? Rien. Plus de soupe.

Naître
Transit - La messagesse -

Transit - La messagesse - (2009)

     Elle : Toutes mes copines sont mariées, ont deux ou trois enfants, des fois un ou deux chiens, certaines cohabitent même avec une maîtresse légitime, j’éponge leurs angoisses le soir au téléphone, peu sont libérées sexuellement, enfin celles de mon âge, les autres plus jeunes s’envoient en l’air avec les premiers venus mais le reste du temps caressent leur petit canard jaune. Finalement elles attendent. Et à force d’attendre, elles flétrissent leurs rêves les plus lointains qui soient. Moi j’essaie toujours de garder mes rêves à porter de vue. Même quand ils s’éloignent je monte encore sur la pointe de mes pieds. Quand ils touchent le fil de l’horizon, je grimpe sur mes épaules, je les appelle gentiment. Ils s’arrêtent, ils se retournent, ils me sourient et ils se rapprochent attendris. Je n’ose pas me jeter sur l’Autre comme un poulpe et le serrer avec mes tentacules. Je regarde le monde, lovée dans mon coquillage, mon Saint-Bernard-l’Ermitte sédentaire, mon araignée trop timide pour déployer sa toile de lin. Je regarde tout simplement mon amie à qui j’ose enfin dire ce qui m’habite, ma peau qui frétille quand elle me sourit, mon ventre qui explose quand elle s’assoit près de moi et qu’elle prend mes deux mains, mes seins qui pointent quand elle parcourt mes rêves, mes draps tout humides quand je me lève.

Tryptique

Tryptique (2008)

     Marie : Ferdinand. Tu m’as fait naître mère mais je veux la beauté. Je veux savourer les nuits endiablées, embrassées par dix lèvres animales, pénétrées par dix fantômes membrés. Je veux jouir dix fois dans la nuit, caresser dix fesses bombées, lécher dix torses musclés.

     Maria : Ferdinand. Tu m’as fait naître belle mais je veux la spiritualité. Je veux regarder mon esprit s’élever, atteindre le cosmos, les pouces en contact, les paumes levées, les pieds recourbés. Je veux m’éloigner de ces miasmes morbides et caresser moi aussi les espaces éthérés.

     Mary : Ferdinand. Tu m’as fait naître brillante mais je veux enfanter. Que jaillissent de mon ventre des piaillements de joie, de mes seins maltraités un nectar embaumé, de mes lèvres crevassées une chaleur tendre et douce qui fera s’endormir toute la maisonnée.

Être. Naître.Disparaître.

Être. Naître. Disparaître. (2007)

     Lui 1 : Reste-t-il même encore des chiens ? L'événement ne peut avoir favorisé les chiens. Les insectes d'accord. Mais pas les chiens. Ces êtres qui ne vivent que par l'être, qui ne vivent que pour l'être. Qui répandent leur fange à même les trottoirs pour que l'être ne regarde plus le haut de la cité mais plutôt le bas de ses propres pantalons. Plus bête qu'un chien ? Un maître. Qui laisse déverser sur autrui le trop-plein viscéral de sa raison de vivre, de son chien. Je hais les chiens. Je hais les maîtres. Jeunes. Vieux. Femelle en talon aiguille. Beau Mâle en t-shirt Ralph Lauren. Je crache sur leurs chiens comme sur leur laisse fangeuse. Ce manque d'ouverture conduit inévitablement à l'événement. C'était couru d'avance. Blonde aux seins lourds. Vieille bagousée. Pectoraux percés. Je crache sur vous et vos maudits clébards. Vous avez détruit l'humanité insouciante avec vos sales promenades dominicales. Vous avez porté haut sur vos épaules l'avènement de l'événement. Les insectes doivent bien rire maintenant en bas. Et peut-être même les chiens. Tant pis pour vous ! Tant pis pour nous aussi d'ailleurs. Si j'avais un chien, même tout petit, je pourrais le promener rapidement entre un lever et un coucher de soleil, partir du module japonais, passer devant le module russe, et le caresser tendrement dans le module européen. Il me regarderait avec ses yeux tristes, si tristes, qu'il n'oserait même pas aboyer. Si tristes, que je n'oserais même plus le caresser. Si tristes, qu'il ne mangerait plus sa pâtée déshydratée. Si tristes, que je le laisserais s'endormir doucement à mes pieds. Il ne râlerait même pas. Ses yeux si tristes se fermeraient, se fermeraient à jamais. A jamais, je le regarderais fermer ses yeux si tristes. A jamais, je le regarderais s'éloigner lentement de la station avec autour du cou mon foulard rouge des fêtes de Bayonne. Il partirait, léger, il tournerait lentement deux-trois fois sur lui-même. Et je le perdrais de vue avec mes yeux, mes yeux si tristes.

     Lui 2 : Que je sois. O, i, s.

     Lui 1 : Mes yeux si tristes.

     Lui 2 : Que tu sois. O, i, s.

     Lui 1 : Si tristes.

     Lui 2 : Que nous soyons. Y, o, n, s.

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